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Frédéric Maillard
Par Admin Le 1 juin 2013 Catégorie d'articles: L'invité-e

Les circonstances sont bien peu de choses, le caractère est tout: c’est en vain qu’on brise avec les objets et les êtres extérieurs; on ne saurait briser avec soi-même. On change de situation, mais on transporte dans chacune le tourment dont on espérait se délivrer, et comme on ne se corrige pas en se déplaçant, l’on se retrouve seulement avoir ajouté des remords aux regrets et des fautes aux souffrances.

BENJAMIN CONSTANT

« Adolphe »

Le dilemme du policier

En admettant, tel que l’affirme Benjamin Constant, que le caractère est tout, le policier peut-il, dans une situation d’agression par exemple, laisser répondre son caractère ? Répondre par un doigt d’honneur à une insulte ?

Cette image porte à sourire car bien sûr le policier est investi, outre d’une responsabilité collective à l’instar de tout citoyen, d’une responsabilité régulatrice et normative. Il  se réfère dès lors à des lois, des normes, des règlements qui lui dictent la réponse. Références externes qui le protègent en tant qu’individu. Surtout dans l’urgence, dans l’immédiateté.

Mais qu’en est-il lorsque les circonstances deviennent émotionnelles ? Lorsqu’il est pris dans un dilemme éthique ? Lorsque ses propres valeurs, convictions, croyances, principes entrent en conflit avec les normes ? Lorsqu’il doit, comme cela m’a été rapporté, arracher un nourrisson du sein de sa mère en situation illégale afin de les déloger ? Doit-il se laisser dicter par ses propres normes ? Par son caractère ? Cette fois, nous en grimaçons. Doit-il dès lors les « bafouer » et se soumettre aux règles ? Le cas échéant, quelles sont pour lui les implications en termes de responsabilité individuelle, désormais ? À savoir celle du respect de ses propres besoins, ses propres valeurs pour se diriger librement dans le monde ? La liberté comme droit fondamental de tout individu dont le policier doit précisément se porter garant… ?

Les normes protègent dans l’urgence, mais pas dans la récidive.

Si mes réflexions m’ont entraînée dans les méandres de la  responsabilité individuelle (versus responsabilité collective), c’est que dans ma consultation privée se présentent de plus en plus de professionnels de l’urgence : policiers, pompiers, ambulanciers… se trouvant cumulativement en décalage entre leurs valeurs personnelles et les valeurs situationnelles et/ou institutionnelles qu’ils défendent ou représentent.  Expérimentant dans la redondance le musèlement de leurs principes et de leurs besoins propres.

Une des stratégies adaptatives orientée vers le changement de caractère, stratégie certainement la plus économique en termes de conflit intérieur, consiste en l’appropriation de ces normes, règles et lois, les faisant siennes à tout prix – c’est-à-dire en les laissant engloutir ses propres valeurs – au risque de les exacerber, les extrémiser même. Au risque de se robotiser. De perdre le discernement. De se perdre soi-même. De ne se (re)trouver qu’auprès de ses pairs. De se décaler du monde. Ce qui ne représente en aucun cas un changement thérapeutique. Toutefois, à cette population-là, je n’ai certainement pas accès.

Celle qui me consulte pourrait génériquement être décrite comme celle qui souffre finalement de ne pouvoir, de façon cumulative – j’insiste sur ce facteur de cumul –  qui souffre donc de ne pouvoir faire respecter à son propre égard les droits humains, alors qu’elle en est paradoxalement garante auprès de la population…

Quels sont donc ces droits humains que la police ne peut régulièrement revendiquer à son endroit ? Le droit à la vie : la vie du policier est régulièrement menacée ; l’interdiction des traitements dégradants : le policier est régulièrement exposé à des insultes, des injures, parfois même des crachats ; le droit à la sûreté : le policier est souvent en danger ou alors menacé de l’être ; le droit au respect de la vie privée et familiale : les menaces ciblent régulièrement sa famille ; le droit à la liberté d’expression : porte-parole de l’Etat, le policier est généralement « muselé » dans sa liberté de réponse ; l’interdiction de certaines discriminations : le policier, surtout en uniforme, est régulièrement la cible de discriminations. Et il en existe certainement bien d’autres encore…

En effet, je réalise, confortablement installée dans mon cabinet, que plus s’installe pour le policier la difficulté de faire valoir pour lui-même ces droits fondamentaux, plus elle peut le faire douter de la légitimité même de l’existence de tels droits (d’où le risque de dérapages) ou alors éroder peu à peu les valeurs, les idéaux qui l’ont orienté vers le choix de ce métier, particulièrement s’il se sent peu soutenu, peu « protégé » par sa hiérarchie. Dès lors il encourt désillusion, amertume et cynisme. Pouvant le mener jusqu’à l’ultime sanction individuelle : le Burnout et/ou la Dépression.

La responsabilité individuelle du policier, en définitive, serait ainsi de « se prendre en soins » lui-même afin de pouvoir prendre soin de la collectivité. D’alimenter ses valeurs propres hors du contexte policier. De s’extirper du corporatisme pour faire exulter l’homme. Et ainsi son caractère.

Prescription simple. Mais certainement pas facile.

Marie-Valérie Poyetton de Riedmatten

Psychologue spécialiste en Psychothérapie FSP
Spécialisée en Psychologie d’intervention et Psychotraumatologie

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