Police-justice : sortir du dilemme gauche-droite
Pour prendre conscience de la manière dont les grandes villes européennes vivent l’économie globalisée, la lecture d’un excellent polar est un précieux recours. A titre d’exemple, citons celui que vient de publier Patrick Delachaux, un ancien policier genevois: Grave panique, paru aux Editions Zoé.
Envoyé dans la région parisienne lors d’une mission d’Europol, le narrateur est confronté à des rapports entre population et forces de l’ordre qui n’ont guère de points communs avec ce qu’il a vécu pendant dix-sept ans de police de proximité dans les rues de Genève.
En Seine-Saint-Denis — ce département du Grand Paris qui accumule les handicaps — les «keufs» sont perçus comme des soldats d’occupation. Et lorsqu’en bon flic genevois, soucieux de tisser des liens pour les transformer en tuyaux, Patrick Delachaux veut dire bonjour à des lascars de La Courneuve, il se fait incendier par ses collègues français. On ne cause pas à l’ennemi.
Entre les mafias chinoises, les clans de Français d’origine maghrébine et africaine, des féodalités nouvelles se construisent dans l’ombre. Le racisme politicard façon Le Pen (traduction en langage helvète: Blocher; avec la sous-variante genevoise: Stauffer) en fait son beurre rance.
Voici donc le défi que doit relever la police française du XXIe siècle: tenter de détricoter ces féodalités pour que la République puisse reconquérir ses terrains perdus. Et cela ne se fera ni à grands coups de gueule extrémistes ni par les castagnettes de la langue de bois. Après dix ans de règne sur la sécurité publique — en tant que ministre de l’Intérieur, puis président — Nicolas Sarkozy nous a montré qu’il fallait surtout ne pas faire, à savoir jouer les policiers contre les juges, pulvériser la police de proximité, stigmatiser une population. Sur ces ruines, tout est à reconstruire. Le quinquennat Hollande n’y suffira pas. Mais, au moins, que le nouveau gouvernement remette la justice-police sur les rails!
Il devra, avant toute chose, dépasser le faux dilemme droite-gauche. Pour la droite, les conditions sociales et économiques ne jouent aucun rôle, seule compte la responsabilité individuelle. Pour la gauche, la responsabilité individuelle se dilue dans les conditions sociales et économiques. La droite privilégie la répression et la gauche la prévention. C’est soit l’un, soit l’autre. Or, prévention et répression forment les deux faces d’une même médaille, les séparer, c’est se condamner à l’inefficacité, comme l’ont prouvé la décennie Sarkozy et les années Mitterrand-Jospin.
Pour que la République se rétablisse là où elle est remplacée par les gangs, il faut soigner et cogner.
Jean Noel Cuénod, correspondant à Paris