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Frédéric Maillard
Par Frédéric Maillard Le 11 avril 2018 Catégorie d'articles: Activités, Police, Revue de presse

Par Sophie Roselli – La Tribune de Genève

Deux ans après l’externalisation de la formation des policiers genevois, le décalage avec les besoins du terrain est décrié. Genève mène actuellement une évaluation.

L’un des projets phares de la réorganisation de la police genevoise est sous le feu des critiques. Deux ans après

l’externalisation de la formation des aspirants genevois à l’Académie de police de Savatan, dans le Chablais, ces jeunes sortant avec un brevet fédéral seraient en décalage avec les besoins réels au bout du lac, selon notre enquête. Pierre Maudet aurait lui-même manifesté son insatisfaction. Ce qu’il dément. Décryptage.

À la suite d’une réunion d’une section de la police, dans un e-mail adressé à la fin de mars au personnel, un paragraphe consacré à l’Académie de Savatan, formant Genevois, Vaudois et Valaisans de différents corps policiers, en a frappé plus d’un. «Pierre Maudet admet que la formation à Savatan est insatisfaisante (…) mais indique que l’option de réversibilité (retour de la formation à Genève) théorique est impraticable (coûts, structures, etc.).» Le document précise qu’«en conséquence, chaque service est invité à dresser une feuille de route et un plan d’actions pour pallier les carences de cette école de formation». La méthodologie et le contenu seraient en cause.

Qu’en dit aujourd’hui Pierre Maudet, quatre ans après avoir décidé de cette externalisation par souci financier? «Les appréciations prêtées au magistrat sont intégralement contestées, indépendamment de leur restitution tendancieuse», répond sa porteparole, Caroline Widmer. Pas question pour Pierre Maudet de «tirer une quelconque conclusion à ce sujet», car cette formation est «en phase d’évaluation depuis le mois passé», nous apprend-elle. Et ce, sur la base d’un rapport complet rendu par l’académie en février. Pour cette raison, l’école refuse de répondre à nos questions. «Le magistrat a toujours annoncé vouloir faire un bilan complet et sans a priori de cette expérience de deux ans, précise Caroline Widmer. Il compte bien pouvoir évaluer la situation sur la base du retour qui lui sera fait, tant par l’état-major de la police que par les équipes de Savatan. Les remontées du terrain lui seront également utiles pour se déterminer.»

Un genou à terre

Sur le terrain, justement, des jeunes brevetés et des agents chargés de l’encadrement expriment, sous couvert d’anonymat, un gros malaise. Une nouvelle recrue ose parler d’une formation «catastrophique» qui «vous inculque l’esprit militaire». En plus des appels à 6 h 30, des marches, des chants, du manuel du savoir-vivre où l’on apprend à s’essuyer la bouche avant de boire, un détail l’a frappé: «Un instructeur nous a fait mettre un genou à terre en visionnant en cours un passage du film «American Sniper». Le décalage avec les attentes genevoises est flagrant: «On forme des gens prêts à obéir au doigt et à l’œil, des pros du maintien de
l’ordre. On nous a appris des choses très généralistes alors que chaque canton et chaque corps ont leurs spécificités. Certains formateurs ne connaissaient pas la réalité genevoise. Aujourd’hui, je dois rattraper mes lacunes.»

Dans les brigades, c’est la déconvenue. «Ils ne savent pas utiliser les nombreuses bases de données spécifiques à la police genevoise pour faire des recherches, réaliser des contraventions, des dénonciations à différents services. Cela ne s’acquiert pas en une heure, constate un maître de stage. Cela correspond pourtant à la plus grande partie du boulot de policier, uniformé ou non.» Bien sûr, on considère qu’un policier a besoin de quatre ou cinq ans pour déployer son efficacité, mais le manque de pratique des brevetés surprend. «Lors d’un contrôle de permis de conduire, ils oublient de tout passer en revue. Ils ne savent pas mettre des amendes d’ordre, ce qui est pourtant la base», poursuit notre interlocuteur.
Un inspecteur s’étonne de leur attitude en situation réelle: «Ils n’ont jamais fait de vraies filatures ou des contrôles dans la rue. Quand ils prennent l’identité d’un témoin, ils s’en méfient et mettent la main sur la crosse de l’arme.» Formés hors-sol, les novices ne connaissent pas toujours le biotope local. «J’en ai vu un qui ne savait même pas où se trouvait la gare Cornavin…» ajoute le maître de stage. D’une façon générale, il constate leur manque de connaissance du réseau des partenaires de la police.

Après douze mois de formation, les diplômés enchaînent encore cinq semaines de formation à Genève, comme dans l’ancien système. Mais une semaine a été ajoutée récemment. Est-ce pour remédier aux manques? Dans d’autres corps, il faut compter deux mois supplémentaires.

Il n’en faut pas plus pour faire bondir les syndicats genevois. «Les problèmes ont été constatés dans toutes les unités de police qui accueillent des stagiaires», relève Marc Baudat, président de l’Union du personnel du corps de police.

Risques importants

Membre du comité du Syndicat de la police judiciaire, Michael Berker résume: «Savatan ne laisse aucune place à la prise d’initiative, à l’empathie que requiert notre métier de flic. Savatan est un «machin» reposant sur des dogmes irréalistes, axés sur la discipline militaire à outrance, qui fonctionne en vase clos, dont on conçoit difficilement qu’il puisse coûter moins cher que la formation d’excellence qui existait avant à Genève.»

Les Genevois sont-ils les seuls à râler? «Comme les corps cantonaux, communaux fonctionnent différemment, l’Académie de Savatan propose un socle commun d’enseignement. Il revient à cha- que entité de compléter la formation. Tout le monde fait avec. Les Cantons de Vaud et du Valais ont du mal à remettre en cause le sys- tème qu’ils ont créé en 2004», contextualise un policier vaudois. Plus optimiste, Jean-Philippe Rochat, président de l’Union syndicale des polices romandes, relativise: «Je n’ai pas eu d’interpellation syndicale, pas de cri d’alarme laissant penser qu’il y a des lacunes. La formation commune romande tient compte des besoins de chacun, mais cela ne se fait pas de façon aisée et peut fâcher certains collègues.»

Saisie par un citoyen, la Cour des comptes genevoise a tâté le terrain. Elle estime que «les risques liés à cette externalisation demeurent importants». En janvier, l’organe de surveillance a demandé à Pierre Maudet «d’établir un bilan pédagogique et économique détaillé de la formation» et de le mettre à sa disposition pour la fin de novembre 2018. La Cour décidera alors si elle entend lancer un audit.

Le flou sur les coûts

Un certain flou règne concernant le coût de la formation à l’Académie de Savatan, dans le Chablais. En décembre, le Conseil d’État genevois répondait à la question d’un député ainsi: «Les frais d’écolage de Savatan s’élèvent à 40 000 francs par personne.» Or, dans sa réponse faite à un citoyen en janvier, la Cour des comptes avance le chiffre de

72 000 francs pour le coût complet de la formation concernant la première volée
genevoise, selon des données fournies par la police cantonale. Si ce dernier montant reste légèrement inférieur aux charges antérieures, cela pourrait changer. Avec le désengagement de la Confédération du site de Savatan, prévu à la fin de l’année 2019, l’incertitude plane sur la future localisation de l’Académie et sur son financement. Sans parler de la durée de la formation, qui passera pour toute la Suisse à deux ans, à partir de 2020.

Formation unique critiquée

Dans un contexte tendu entre les syndicats de la police genevoise et le Département de la sécurité et de l’économie, une avalanche de questions a été posée en novembre par des députés, notamment sur la formation des aspirants. Le Conseil d’État s’est voulu rassurant. Le nombre de places ouvertes a oscillé entre 66 et 60 entre 2012 et 2017. «Les statistiques du secteur recrutement révèlent une bonne stabilité des candidatures
envoyées à la police.» La formation unique pour les policiers uniformés et les inspecteurs, instaurée avec la nouvelle Loi sur la police genevoise, ne freine pas les candidatures. Le syndicat de la police judiciaire estime, au contraire, que l’attractivité de l’institution auprès des universitaires régresse. En résumé, le Conseil d’État ne tire pas de constat d’échec dans la collaboration entre la police genevoise et Savatan.

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